Le 8e Festival de géopolitique de Grenoble a débuté ce mercredi 16 mars 2016. Son thème -"Dynamiques africaines"- ne doit rien au hasard: le continent aura rarement été autant au centre de toutes les attentions.

En l'espace de quelques jours, deux évènements ont plus particulièrement souligné l'ambivalence de la situation africaine. Le 13 mars, une plage de la station balnéaire de Grand-Bassam, en Côte d'Ivoire, était le théâtre d'une attaque revendiquée par les islamistes d'AQMI. Au moins 18 personnes, dont 15 civils -parmi lesquels quatre Français- et trois éléments des forces spéciales ivoiriennes étaient tuées, mettant brutalement fin à la réputation d'un pays parmi les plus sûrs du continent, et alimentant les discours "afro-pessimistes" récurrents.

Mais quelques jours plus tôt, du 8 au 10 mars 2016, se tenait à Dakar, capitale du Sénégal voisin, la première édition du forum mondial de science et de technologie africaines. Organisée par l'African Institute for Mathematical Science (AIMS), cette manifestation vise "la transformation de l'Afrique et du monde à travers la technologie et l'innovation".

Ayant rassemblé quelque 700 leaders de l'industrie, de la politique, de la science et de la technologie, elle participe d'un approche plus "afro-optimiste".

Où est la réalité africaine ?

Une réalité contrastée

Ici comme ailleurs, l'approche géopolitique nous incite au refus de tout manichéisme : ni blanche, ni noire, la vérité se situe dans un entre-deux où tout reste possible, et où les menaces ne sauraient occulter les opportunités -toutes deux s'enchâssant dans une réalité complexe et mouvante. Cette réalité est d'abord le reflet d'une géographie, physique et humaine, qui interdit toute approche trop globale. Diversité des domaines bioclimatiques, immensité de la « mer intérieure » saharienne contrastant avec la luxuriance de la forêt équatoriale, ouverture méditerranéenne ou au contraire vers l'océan...

"C'est toutefois dans la géographie humaine qu'on trouve les éléments les plus marquants d'unité et de diversité" du continent, observe Mathieu Lours, docteur en histoire et enseignant en classes préparatoires, dans le numéro hors-série que la revue Conflits consacre à ce sujet (Une Afrique ou des Afriques?, printemps 2016, www.revueconflits.com).

Outre les nombreuses différences de densité de population ou de niveau de vie, le continent est connu pour constituer une mosaïque de pas moins de 2 000 peuples ou groupes ethniques différents. Cette diversité, qui s'exprime également dans les pratiques et affinités religieuses (cf. note CLES n°181, Afrique et religions, 10/03/2016, http://notes-geopolitiques.com), ne saurait cependant masquer les facteurs d'unités du continent.

 

Le seul peuple Bambara, de l'Afrique de l'Ouest sahélienne, possède 4 millions de locuteurs exclusifs, mais aussi 10 millions de locuteurs pratiquant un bilinguisme ou un plurilinguisme, qui n'est dès lors pas un facteur d'irrédentisme ou de sécessionnisme, mais bien davantage d'intégration à des ensembles plus vastes.

"D'autant que la mosaïque des langues maternelles doit être croisée avec celle des langues officielles qui sont restées souvent celles de l'ancienne puissance coloniale en Afrique subsaharienne. À l'Afrique des langues traditionnelles, on peut donc superposer celle des langues vernaculaires", relève Mathieu Lours. Les différences ethno-linguistiques, souvent dénoncées comme un facteur d'incessants conflits, sont donc le véhicule d'échanges très intenses qui s'observent, souvent de longue date, en Afrique.

Les entreprises en première ligne

Pour preuve de cette "unité dans la diversité": la dynamique intacte du panafricanisme.

Certes, dans ce domaine aussi, la complexité constitue la première apparence: pas moins de huit organisations régionales coexistent en Afrique, avec souvent des chevauchements et des croisements, tant géographiques que thématiques (Union du Maghreb arabe, CEDEAO, UEMOA, Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale, Union économique des États d'Afrique centrale, Marché commun de l'Afrique australe et orientale COMESA, Southern African Development Community et Southern African Customs Union).

Nous sommes bien sûr très loin encore d'organisations aussi intégrées que l'Union européenne, mais comme le note encore la revue Conflits, "la tendance actuelle est au regroupement des différentes organisations régionales. En juin 2015 a été signé le traité instituant la Tripartite Free Trade Area qui doit regrouper la COMESA, la SDAC et l'EAC (Communauté est-africaine) en une vaste zone de libre-échange du Cap au  Caire".

Cette tendance à l'unification est inséparable du rapport de l'Afrique au reste du monde, et plus généralement à la mondialisation. Comme ailleurs, ce rapport est dual, soulignant les diversités voire les hiérarchies qui s'opèrent entre territoires. Le cabinet américain Mc Kinsey a certes cru pouvoir distinguer en 2010, à l'instar des "tigres asiatiques", des "lions africains" (Afrique du Sud, Nigeria, Angola, Algérie, Maroc et Égypte).

Mais la diversité est plus fine à l'échelle régionale. " On voit en effet apparaître des espaces marginaux dans les pays qui ont un potentiel plus important, comme les angles morts du Nord-Ouest de l'Afrique du Sud, mais aussi des pôles dynamiques dans des pays moins riches, observe encore Mathieu Lours. Il s'agit des lieux où s'effectue le décollage économique de l'Afrique subsaharienne: les métropoles, comme Lagos ou Abidjan, les grands ports, les zones d'extraction minière, mais aussi les espaces dynamiques transfrontaliers entre plusieurs pays: entre Nigeria, Tchad et Cameroun, ou encore entre Mali, Burkina Faso et Côte d'Ivoire."

Les entreprises, africaines ou étrangères, doivent donc intégrer ces données géopolitiques à l'analyse de leurs projets d'implantation et de développement: "Il faut prendre en compte les potentiels territoriaux à toutes les échelles. Le fonctionnement du continent en un système intégré suppose que soient surmontés les déséquilibres liés à la croissance. Même s'il y a des Afriques, elles ont toutes un avenir commun."

 

Comme ailleurs, il apparaît vital de replacer le réalisme au cœur de toute analyse à prétention stratégique. C'est ce que nous proposons à l'occasion du 8e Festival de géopolitique de Grenoble, jusqu'au 19 mars prochain autour de la question des "Dynamiques africaines" qui va d'évidence contribuer à façonner le visage du XXIe siècle.

Nous vous attendons nombreux pour participer aux différentes manifestations, et notamment la centaine de conférences, tables rondes et débats animés par 120 experts de la géopolitique et des relations internationales africaines. Pour ceux qui ne pourraient se déplacer à Grenoble, vous pouvez suivre la quasi-totalité des conférences sur le Net.