Vous avez un peu chaud, à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, et vous n’y retrouvez pas les apfelstrudel (tarte aux pommes) que vous dégustiez à Vienne avant de partir pour l’Afrique. La capitale autrichienne était plus calme, la circulation y était plus fluide. Vous n’aviez pas besoin d’un appartement climatisé et le Danube s’écoulait doucement, majestueusement devant vos fenêtres.

Bien sûr, à Kinshasa, la prime d’expatriation proposée par votre entreprise est vraiment très attractive. Parfois, curieux et volontaire, vous optez pour une promenade le long du fleuve Congo et vous vous laissez tenter par un traditionnel mikate, un beignet moelleux. Mais la gastronomie congolaise n’a pas su satisfaire vos papilles, et le débit impressionnant du fleuve Congo, sa couleur gadoue d’un brun rougeâtre, vous angoisse. Parqué dans un complexe sécurisé avec gardien et femme de ménage, vous vous ennuyez. Les coupures d’électricité ne vous concernent pas mais le bruit du générateur vous agace. Sans parler de votre connexion Internet, tellement lente, tellement chère et qui coupe constamment. C’en est trop ! Vous appelez votre employeur et la semaine d’après, vous voilà dans l’avion pour Vienne, retour au siège de la société. Vienne, qui pour la septième année consécutive, vient d’être élue « ville la plus agréable du monde » par le cabinet d’étude américain Mercer.

Le classement annuel Mercer vise à aider les grandes entreprises et les gouvernements dans l’affectation de leur personnel à l’étranger. L’enquête fournit des données qui permettront aux entreprises de fixer les primes « difficulté de vie » dans près de 230 villes à travers le monde. Vienne est donc en tête, suivie de près par Zurich, Munich, Franckfort, Dusseldorf et Genève. Et cela malgré une croissance plate, une montée des populismes en Europe.

Les villes africaines, elles, jouent les cancres et blindent le bas du tableau. Elles sont six à se retrouver parmi les dix pires villes du monde, selon le cabinet Mercer : Conakry (classée 221e sur 230), Bazzaville (223e), N’djamena (225e), Khartoum (226e) et Bangui (229e), qui n’est dépassée dans l’horreur que par Bagdad (230e), zone de guerre depuis treize ans et promise durablement au chaos. Même Sanaa, au Yemen (228e ), qui connaît une situation très volatile depuis l’offensive des Houtistes et la riposte organisée par l’Arabie saoudite, fait mieux que Bangui. Quant à Kinshasa, parfois qualifiée de capitale africaine de la mode, sa scène culturelle bouillonnante et son incroyable potentiel économique, n’ont pas ému les consultants du cabinet Mercer qui l’ont classée 222e.

L'avenue du général de Gaulle à Abidjan, septembre 2014.

A vrai dire, seules trois villes africaines sauvent l’honneur et se retrouvent dans les 100 premières de la planète, dans un classement qui se base sur une dizaine de critères, dont la sécurité, mais aussi le confort médical, l’éducation, l’environnement politique, social ou culturel, tout cela pour « expatriés ». Elles sont toutes les trois en Afrique du Sud. Il s’agit de Durban (85e), du Cap (92e) et de Johannesbourg (95e).

Après six heures de vol, vous profitez de votre escale à Bruxelles pour une petite virée gastronomique et culturelle en ville. La capitale belge occupe la 21e place des villes les plus agréables au monde, ça tombe bien. Sur ce point, la culture, Kinshasa vous a particulièrement déçu. Le Monde Afrique vantait pourtant une mégapole en pleine ébullition artistique d’où émergent peintres, photographes, musiciens et écrivains par dizaines. Mais comme la capitale congolaise est classée 226e sur 230 par le cabinet Mercer en terme de « sécurité personnelle », pas question de mettre le nez dehors trop longtemps. Tant pis, vous attendrez la prochaine exposition de la Fondation Cartier à Paris pour vous ébahir devant les talents congolais.

Prenez donc quelques minutes pour admirer Bruxelles et ses arcades du cinquantenaire, magnifique monument érigé par Léopold II en commémoration du cinquantième anniversaire de l’indépendance de la Belgique, rebaptisé par certains rabat-joie « les arcades des mains coupées », en référence aux travaux effectués avec l’argent du caoutchouc congolais. Chamboulé par cette anecdote sanguinaire qui vous a donné la nausée, vous rendez le mikate, ce beignet « trop gras » que vous aviez ingéré la veille. Souvenir désagréable de Kinshasa sur vos chaussures, vous êtes rassurés de pouvoir trouver facilement un médecin au cas ou cette indigestion évoluerait en intoxication alimentaire. Vous vous dites que tout compte fait, la capitale congolaise mérite bel et bien sa place de 8e pire ville du monde. Dieu merci, ce n’est qu’un souvenir.

Selon le classement Mercer 2016, c’est l’aspect sécuritaire qui compte le plus pour les expatriés. D’où la dégringolade de Paris, qui perd 10 points avec les attentats de 2015 et ne se retrouve qu’à la 37e place mondiale sur l’ensemble des critères.

Votre voyage s’est effectué sans encombre. Vous avez bien heureusement évité l’escale à Paris, la dangereuse capitale française classée 71e pour le critère « sécurité personnelle ». Là, vous ne pouvez vous empêcher de sourire. Tiens, Paris se rapproche dangereusement de ses anciennes colonies, pensez vous non sans ironie. La Belgique, elle, a su garder son rang et maintenir une saine distance entre Bruxelles et Kinshasa. Dans l’avion qui va bientôt se poser les rives du Danube, vous soufflez enfin. D’un geste libérateur, vous sortez vos liasses de dollars de votre caleçon. Car si Vienne est la ville la plus agréable du monde, c’est aussi une des plus sûres, la 5e de la planète selon le classement Mercer 2016.

Loin de vouloir minimiser les défis auxquels doivent faire face les métropoles africaines, les problématiques sécuritaires qu’elles rencontrent, le manque d’infrastructures et l’accès limité à la santé et à l’éducation d’une partie de la population, ce classement réalisé par et pour des expatriés occidentaux stigmatise un continent. Une seule partie de l’histoire ressort du rapport Mercer. En dressant une liste qui se veut objective, voire scientifique, sur des critères subjectifs, le rapport fige un continent et renvoie l’image d’une Afrique violente, dangereuse et hostile.

Les grandes métropoles africaines grouillent désormais d’histoires positives, de jeunes gens entreprenants, talentueux et éduqués, pour qui, les villes les plus agréables du monde sont et resteront Abidjan (206e), Addis Abeba (207e), Dar es Salaam (198e), Nairobi (184e) ou Lagos (211e), cette capitale de l’impossible, véritable concentré d’énergie humaine et de créativité, qui se trouve, dans le classement Mercer, dépassée par Bishkek, au Kirghizistan.

Par Emile Costard