Après s’être sortie de cinquante années de dictature il y a seulement cinq ans, la Guinée fait face à de multiples défis pour consolider sa démocratie. Mais aujourd’hui, elle est en danger. Comme nous l’avons vu au Mali voisin, lorsque la démocratie s’effondre, Al- Qaïda, l’Etat islamique et les trafiquants de drogues et d’êtres humains s’engouffrent dans la brèche.

La communauté internationale doit agir dès maintenant pour préserver la démocratie en Guinée, à l’aune des élections présidentielles d’octobre. Même si des inquiétudes ont été formulées concernant la probité des élections de 2010, la première élection démocratique de la Guinée, Alpha Condé est néanmoins entré en fonction avec des promesses de réformes et de progrès.

Cependant, les chefs de l’opposition ont affirmé que le gouvernement avait échoué à tenir ses promesses de mettre en place des institutions démocratiques. Le manque de dialogue et les circonstances inquiétantes des élections à venir sont à la source d’une certaine instabilité. En avril, des manifestants protestant contre le report des élections par le gouvernement Condé ont été tués par balle par les forces de l’ordre. Les tensions politiques ont été exacerbées par l’épidémie d’Ebola, qui a tuéen 2014 plus de 2 300 Guinéens.

Alors que les élections présidentielles ont été fixées le 11 octobre, aucune date n’a été annoncée en ce qui concerne les élections législatives de 2016. Les dernières élections législatives ont confirmé la dangereuse répartition du vote au regard de critères ethniques, les Peuls s’étant rassemblés derrière le principal parti d’opposition, et les Malinkés derrière le gouvernement. Les actes de Condé exacerbent cette division.

Malgré les protestations de l’opposition, Alpha Condé a nommé des administrateurs locaux à la place des fonctionnaires localement élus. Ces fonctionnaires nommés joueront désormais un rôle clé dans la supervision des élections de cet automne. De plus, le président Condé a nommé un officier militaire pour diriger la commission de surveillance de l’élection, et a refusé une implication internationale dans le processus électoral.

A cause d’une mauvaise gouvernance, le peuple guinéen vit dans une grave pauvreté. Au regard de presque tous les indicateurs internationaux, la Guinée échoue lamentablement. L’indice de développement humain des Nations unies classe la Guinée au 179e rang sur 187 pays, derrière le Zimbabwe de Robert Mugabe, et même le Mali déchiré par la guerre : 40 % des habitants vivent avec l’équivalent de 1,25 dollar par jour.

Au milieu de cette pauvreté, le rôle que joue la Guinée dans le trafic de drogue en provenance d’Amérique latine vers l’Europe ne cesse d’augmenter, laissant craindre que d’autres criminels, notamment des terroristes s’implantent sur son territoire. Il faut agir !

 

La Guinée possède de nombreuses ressources minières, dont des gisements de bauxite, de minerai de fer et d’or, qui pourraient faire de ce pays l’un des plus riches d’Afrique. Les mauvaises décisions du gouvernement poussent les investisseurs à se désintéresser du pays. Les grandes compagnies minières telles que Vale, BHP Billiton, et Newmont sont parties. Et celles qui restent sont en procès contre le gouvernement afin de reprendre possession de leurs propriétés confisquées.

Afin de mettre fin à ce cercle vicieux, les dirigeants guinéens, du président aux fonctionnaires locaux, doivent amorcer un dialogue constructif pour résoudre les crises que traverse le pays, notamment en assurant un cadre solide pour les élections, en créant un climat favorable à l’investissement, et en préservant un Etat de droit. La communauté internationale, à commencer par l’Union africaine, doit amorcer un dialogue avec le pouvoir en Guinée pour inverser la tendance, à l’occasion de l’élection présidentielle d’octobre.

Si la population ne reconnaît pas le résultat des élections, le pays pourrait facilement tomber dans un chaos qui serait catastrophique pour ses habitants et dangereux pour la région. La démocratie n’est pas seulement le fait de voter : l’importance de la question de l’Etat de droit en Guinée ne doit pas être sous-estimée.

Le respect du droit de propriété, l’instauration d’un climat d’investissement stable et juridiquement encadré, et la reconnaissance et l’exécution des décisions des juridictions locales et internationales seraient des étapes constructives. L’organisation respectée qu’est l’International Crisis Group a énoncé un certain nombre de recommandations qui pourraient servir de base à un dialogue entre l’Union africaine et la Guinée.

Un pays stratégique dans une région instable

Le plus important pour le président Condé est de relancer le dialogue avec l’opposition qui concernerait tous les aspects controversés des élections, et d’accepter l’aide internationale dans ce domaine. La clé sera de développer et de promulguer des règles électorales, et de faire du Tribunal constitutionnel une institution nationale indépendante œuvrant à la défense des droits fondamentaux.

Réformer la Commission nationale électorale indépendante (CENI) est nécessaire, pour que les forces en présence puissent se faire confiance. Une méthode de résolution des conflits électoraux doit également être mise en place. Ces étapes peuvent aider à redonner confiance à la récente démocratie Guinéenne, et ce tout spécialement dans le contexte des élections présidentielles à venir. Une date pour les élections parlementaires de 2016 doit également être fixée.

La Guinée est un pays stratégique dans une région aussi historiquement instable que peut être l’Afrique. La combinaison de la pauvreté, la corruption, la violence d’Etat et l’interférence dans les élections est dangereuse d’autant plus que ces éléments s’inscrivent dans une région concernée par l’influence grandissante de l’extrémisme islamique. L’Union africaine et la communauté internationale au sens large seraient sages d’agir dès maintenant pour soutenir cette démocratie naissante.