"Moi, François Hollande, je ne prends la mesure des choses qu'aujourd'hui, après deux ans de mandat". "Moi, François Hollande, j'ai dû d'abord endiguer la chute du pays et j'entame maintenant la reconquête avec une politique qui portera ses fruits". Ces deux opinions, qu'elles viennent d'opposants ou de supporters du Président de la République, ont chacune une part de vrai et une part de faux.

Il est vrai que François Hollande a mis du temps, beaucoup de temps, à la fois pour assumer publiquement un virage économique qu'il avait fait, lui, depuis longtemps, mais qu'il n'avait pas expliqué aux Français. Ses adversaires peuvent même à bon droit se demander s'il n'a pas été en "formation professionnelle" au métier de Président pendant deux ans.

Mais il est exact qu'il a dû assumer un héritage difficile : la France de la crise, la France sans emplois, la France endettée, la France meurtrie par un quinquennat clivant, la France qui croyait qu'il apporterait dans ses valises un monde meilleur. Il a eu l'honnêteté de reconnaître qu'il a été élu par défaut plus encore que par ses qualités propres. C'est souvent le cas, mais aucun homme d'Etat n'a jamais admis avoir d'abord bénéficié du rejet de son adversaire (celui de VGE pour Mitterrand, celui de Bush pour Obama).

Si bien que son quinquennat rétréci - appelons cela désormais son triennat - commence, et le temps coure vite pour "retourner" l'adhésion des Français de plus en plus sceptiques. Passons sur la communication présidentielle qui explique depuis deux jours qu'il "va aller à la rencontre des Français" - expression tant de fois rabâchée qu'elle n'a plus aucun sens - et qu'il voit le "retournement" après une "inversion" qui n'est jamais venue. Passons sur le fait que Le Monde nous apprenait hier que le salon rouge serait désormais le lieu du Conseil de ministres et non plus le Salon Murat - les Français y seront sensibles ! - et que BFM nous montrait en boucle comme une innovation signifiante, le fait qu'il sorte à pied Faubourg Saint-Honoré aux côtés du premier ministre japonais, Shinzo Abe ! La chaîne d'info continue qui voyait dans la venue du Président dans ses studios, un des éléments majeurs du virage politique : parler aux "vrais gens". Comme s'il y avait des citoyens contestables. Mais laissons cela.

Il y avait, certes, quelque étrangeté à voir un Président, qui doit être en charge des grands choix macro-économiques, répondre en expert fiscal ou en responsable de Pôle Emploi sur la situation très angoissante de Français devant leur feuille d'impôt, devant le montant de leur retraite, ou l'impossibilité d'embaucher un apprenti en dessous de 16 ans.

Mais c'était un exercice nouveau et ni Jean-Jacques Bourdin, ni les auditeurs ne l'ont ménagé. François Hollande a fait preuve de punch, de modestie, d'autocritique (sur la défiscalisation des heures sup' notamment, et sur la sanction des municipales). Il a surtout montré un peu de cette fameuse volonté qui lui est contestée. Enfin. Le Président a désormais tout en mains pour avancer : une politique, fût-elle controversée dans son propre camp ; un chef de gouvernement volontaire ; des mesures économiques amendées pour tenir compte des plus défavorisés ; et une situation économique qui bouge un peu, un tout petit peu. Il n'a en effet rien à perdre, mais la France, elle, tout. En son temps, le général de Gaulle avait qualifié la planification d'"ardente obligation". Désormais les ardentes obligations du Président Hollande ne lui laisseront aucun répit.

Anne Sinclair