Le procès de Karim Wade touche à son épilogue. Les réquisitoires de l'accusation ont pris fin mardi et les plaidoiries de la défense devraient s'achever mercredi, avant que la décision de la Cour spéciale ne soit mise en délibéré.

Pour un avocat pénaliste qui entame sa plaidoirie, le sens de la métaphore et le goût de l'emphase sont des auxiliaires aussi précieux que la connaissance du dossier et du code pénal. Lundi et mardi matin, les avocats de l'État du Sénégal, partie civile, l'ont confirmé devant la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI), chargée de juger Karim Wade et ses neuf co-prévenus (dont cinq sont présents à Dakar) pour enrichissement illicite et complicité.

Mardi 17 février au matin, l'ancien bâtonnier Yérim Thiam, qui a conclu par une plaidoirie à la fois subtile et enlevée cette longue procession, en a livré plusieurs d'illustrations. La veille, ses confrères, évoquant les ramifications à leurs yeux délictueuses entre les différents prévenus, parlaient d'une "toile d'araignée". Yerim Thiam, quant à lui, file la métaphore aquatique. "Ils ont plongé l'administration de notre pays dans un aquarium infesté de requins !" À ses yeux, Karim Wade et son vieil ami Ibrahim Aboukhalil, alias Bibo Bourgi, sont "deux garçons aux dents longues qui ont monté une association de criminels malfaiteurs". Rappelant avec humour l'époque où, étudiants, ses camarades et lui partageaient un modeste plat de riz, tous assis autour du "bol" en mangeant avec la main droite, l'avocat lance : "Eux, ils ont mangé avec les deux mains, et même avec les pieds ! Et ils l'ont fait avec mépris et arrogance."

"Ici, c'est 'Papa-m'a-donné'"

Particulièrement en verve, Yérim Thiam rebaptise Karim Wade en s'inspirant du fils de l'ancien président François Mitterrand, Jean-Christophe, qui avait un temps occupé la fonction de "Monsieur Afrique" à l'Élysée. "En France, on parlait de ‘Papa-m'a-dit’. Ici, c'est ‘Papa-m'a-donné’." Une référence aux défausses de Karim Wade concernant certains pans de son patrimoine qu'il assume mais pour lesquels il renvoie, attestations à l'appui, vers des dons de son père : véhicules, immobilier ou compte bancaire à Monaco alimenté par une libéralité faite à l'ex-président par un monarque du Golfe. Apres la pause-déjeuner, le Ministère public entre en piste. Apres un exposé liminaire un peu laborieux du procureur Cheikh Tidiane Mara, à qui a échu la tache délicate de remplacer au pied levé Alioune Ndao, remercié brutalement mi-novembre après avoir fait la pluie et le beau temps dans le dossier depuis l'ouverture de l'enquête préliminaire, le substitut Antoine Félix Diome prend la parole. Pendant près de quatre heures, il portera sur ses épaules la quasi-totalité des réquisitions. Brillant, le jeune magistrat maîtrise le dossier sur le bout des doigts. Il égrène les noms des prévenus, des témoins et de la myriade de sociétés emboîtées basées entre le Sénégal et divers paradis fiscaux, cite quelques PV choisis et déroule ses griefs.

S'il porte sans état d'âme la thèse que martèle l'accusation depuis le premier jour – une véritable "ingénierie financière" destinée à "pomper l'économie du pays dans des secteurs déterminants" qui aurait Karim Wade comme maître d'œuvre –, Antoine Félix Diome reste égal à lui-même : courtois et policé, éloquent, drôle à l'occasion. La complexité de ce dossier tentaculaire (50 000 pages) est telle que quasiment personne, dans la salle, ne parvient à le suivre dans ses méandres. Mais tout le monde l'écoute avec attention, tant le parquetier sait combiner érudition judiciaire, finesse argumentaire et respect à l'égard des prévenus, même s'il se montre intransigeant sur les "anomalies, fraudes et violations de la loi relative au droit des sociétés" qu'il leur impute, et qui sont, à ses yeux, autant de preuves de leur complicité d'enrichissement illicite.

Les peines les plus lourdes requises pour les absents

Arrive enfin le moment tant attendu. Antoine Félix Diome repasse la parole à Cheikh Tidiane Mara, qui énonce les peines requises par le Parquet spécial. Pour Karim Wade, le magistrat requiert 7 années de prison, 250 milliards de FCFA d'amende (380 millions d'euros), la privation de ses droits civiques et la confiscation de tous ses biens.

Pour Ibrahim Aboukhalil, alias Bibo Bourgi, et son associé Mamadou Pouye, six années de prison assorties des mêmes peines complémentaires sont requises, et quatre ans pour les trois autres complices présumés de Karim Wade présents à l'audience – Pierre Agboba, Alioune Samba Diassé et Mbaye Ndiaye. Les peines les plus lourdes - 10 ans de prison ferme - sont demandées contre les absents, qui ne se sont pas présentés à l'audience : Karim Aboukhalil – le frère de Bibo Bourgi –, Vieux Aïdara, Evelyne Riout-Delatre et Mballo Thiam.

Le procès pourrait s'achever ce mercredi avec les plaidoiries des avocats de Mbaye Ndiaye et de Pierre Agboba, qui se sont désolidarisés du boycott décrété par leurs confrères de la défense, et les éventuelles déclarations des prévenus non représentés, comme Bibo Bourgi ou Mamadou Pouye.