La démission en bloc du gouvernement était inévitable si François Hollande voulait conserver un minimum d'autorité et si Manuel Valls voulait légitimement continuer à gouverner. Elle est plus risquée, mais meilleure qu'un rappel à l'ordre qui aurait été un aveu de faiblesse, ou une sanction de deux ou trois ministres dissidents, qui aurait été une mesure disciplinaire et non politique.

On l'a dit, il était inadmissible que des ministres - dont celui de l'Economie, de l'Education et de leurs soutiens, ministres de la Culture ou de la Justice - ricanent ouvertement des autorités qui les ont nommés, en prônant une autre politique que celle qui est suivie.

On pouvait entendre avec stupeur ce matin sur Europe 1, Arnaud Montebourg, faire l'apologie de la libre discussion devant l'opinion - et non dans le huis clos du Conseil des Ministres, des choix faits par le Président qu'il est censé représenter. Il y avait de la morgue, de la condescendance et un peu de mépris dans sa mise en accusation du Président et de son Premier ministre, et aucun homme d'Etat ne peut accepter cela.

Stupeur aussi devant la confusion idéologique, qui lui faisait dire que même David Cameron avait pris les mesures qu'il fallait. Les dernières mesures économico-politiques de David Cameron ont été de durcir les conditions d'immigration au Royaume-Uni et de réduire les allocations chômage des immigrés pour donner "la priorité aux Britanniques". Même le FMI en a pointé le risque économique d'handicaper la croissance au Royaume-Uni !

Alors débattre, oui. Mais il reste à savoir de quoi.

 

Le pacte de responsabilité, qui commence tout juste à entrer en application paraît rencontrer un consensus assez large pour restaurer la compétitivité française. Reste à compléter le volet social, censuré par le Conseil Constitutionnel. Il n'est sûrement pas question d'y revenir.

Restent les orientations de la politique budgétaire, c'est-à-dire le rythme de réduction des déficits, le rythme de réduction de la dépense publique. Cela ne relève pas des seuls choix de la France, mais du choix d'une coordination des Européens sur une éventuelle politique de relance. Les dirigeants européens acceptent (Matteo Renzi l'a lui-même entérinée cet été) la fameuse règle du déficit de moins de 3%, mais tous s'accordent à pointer les risques de déflation dans l'eurozone, et la nécessité d'une relance, même en Allemagne qui semble touchée à son tour par une croissance en baisse.

Il est donc légitime de savoir si les orientations de la politique budgétaire européenne et les recommandations de la BCE sont encore pertinentes. Cela pose la question de savoir si, en Europe, la France a en sa faveur un rapport de forces pour réorienter la politique européenne. Il est probable que non, d'où les efforts de François Hollande de s'entendre avec le chef du gouvernement italien.

Mais tout cela est complexe, délicat, et met en jeu beaucoup plus de paramètres que les seules rodomontades d'un ministre dont le scénario personnel n'était que trop lisible.

À Manuel Valls de reconstruire un gouvernement cohérent et de combat. Pas simple. Ensuite de convaincre les députés de lui accorder leur confiance. Ils savent que si ce n'est pas le cas, le risque est grand de retourner devant les électeurs, au risque de revenir une poignée.

Certes, il y en a qui font ce "rêve étrange et merveilleux" d'un cataclysme politique, d'une dissolution, de la droite au gouvernement, de son impossibilité à faire mieux, et après une cohabitation, de la gauche revenant en 2017. Ça s'appelle jouer avec la France. Pas sûr qu'en cette fin août ce soit un petit jeu qui amuse les Français.

Anne Sinclair

Directrice éditoriale, Le Huffington Post