François Hollande débute ce jeudi sa mini-tournée africaine par une visite en Côte d'ivoire. Une première étape à la tonalité très économique, mais pas seulement. François Hollande connaît bien Alassane Ouattara, le très cher ami de son très cher ennemi, Nicolas Sarkozy. Depuis son élection en mai 2012, le Français a déjà reçu l’Ivoirien à quatre reprises à Paris et l’a croisé dans plusieurs sommets.

Mais il n’a jamais mis les pieds à Abidjan. Pour sa première visite officielle en Côte d’Ivoire, jeudi 17 juillet, le président français, qui sera accompagné par trois ministres (Laurent Fabius, Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, Défense, et Annick Girardin, Développement et Francophonie), par cinq parlementaires et par quelques célébrités (voir ci-dessous), endossera trois costumes pour une visite en trois dimensions.

Le VRP

Cette visite est placée sous le signe de la coopération… ou du business, question de point de vue. Hollande jouera tantôt au bon samaritain, en signant des conventions, tantôt au VRP de luxe, en louant les compétences des industriels français. Objectif : préserver les liens privilégiés qui unissent les deux pays et les intérêts français qui sont (timidement) menacés par la concurrence asiatique et américaine. La coopération économique entre les deux pays est "étroite et inscrite sur le long terme", indique-t-on à l’Élysée. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : on trouve dans le pays 200 filiales d’entreprises françaises et pas moins de 400 petites et moyennes entreprises (PME) tenues par des Français, ce qui représente près de 35 000 emplois et 50% des impôts sur le bénéfice qui entrent dans les caisses de l’État ivoirien.

Soumis à concurrence ces derniers temps, Paris entend bien rester "aux premières loges", selon les mots d’un collaborateur de Hollande, dans un pays qui frôle une croissance à deux chiffres depuis trois ans. Le programme de ce voyage, initialement prévu en début d’année, mais que le président français avait dû repousser en raison des soucis de santé de son homologue ivoirien, est donc très "éco".

    Bouygues, Méheut, Lafont... Une cinquantaine de chefs d’entreprises français sont attendus à Abidjan.

Après son arrivée à l’aube, Hollande a prévu de rencontrer une délégation de chefs d’entreprises français puis d'embarquer sur un bateau pour une promenade sur la lagune Ebrié. L'occasion pour lui d'admirer le chantier du troisième pont en construction, œuvre française (Bouygues). Et d'évoquer avec ses interlocuteurs les problèmes liés à la pollution ("on pensera très fort à l’affaire Trafigura", précise un de ses proches), à l’assainissement et à l’urbanisme : autant de domaines dans lesquels le secteur privé français a des arguments et l’État ivoirien des besoins.

Ces questions seront d’ailleurs au menu du Forum d’affaires consacré au thème de la "ville durable", organisé en marge de cette visite officielle par le Medef International et la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGE-CI), et que les deux chefs d’État clôtureront en début d’après-midi, après un tête-à-tête au palais présidentiel. Une cinquantaine de chefs d’entreprises français sont attendus à Abidjan, parmi lesquels le magnat du BTP et des médias, Martin Bouygues, le patron de Canal+, Bertrand Méheut, et plusieurs représentants des grosses boîtes françaises (Vinci, Alstom, Thalès, Suez Environnement, Orange, Veritas, etc) qui n’ont pas toujours fait dans le « développement durable », si ce n’est celui de leurs profits. Vincent Bolloré, bien en cours à Abidjan, n’est pas du voyage mais le patron de Bolloré Africa Logistics, Dominique Lafont, est quant à lui annoncé.

Le gendarme

Si ce voyage sera "principalement économique", ainsi que l’indique l’Élysée, il aura également une portée sécuritaire – l’un et l’autre n’étant pas forcément inconciliables... Hollande ne saluera pas ses troupes de la force Licorne qui occupent le camp de Port-Bouët – Le Drian s’y est plié il y a deux mois -, mais il profitera de sa virée sur les eaux de la lagune pour visiter le dernier patrouilleur acquis par la marine ivoirienne - patrouilleur livré il y a moins d’un mois par une entreprise française, Raidco Marine. "La Côte d’Ivoire est très engagée dans la lutte contre la piraterie, c’est un partenaire de choix", précise-t-on au ministère de la Défense. Abidjan pourrait accueillir à terme un centre de formation régional destiné à former les Africains à la lutte contre la piraterie et financé en partie par la France.

    Les dossiers chauds à évoquer avec Ouattara à l’heure du déjeuner sont nombreux : Mali, Sahel, Nigeria, centrafrique...

Les dossiers chauds à évoquer avec Ouattara à l’heure du déjeuner sont nombreux : le Mali évidemment, où le chef d’État ivoirien a joué un rôle crucial en tant que président de la Cedeao lors du déclenchement de l’opération Serval et où il compte des troupes, mais aussi le nouveau dispositif militaire français dans la bande sahélo-saharienne, dans lequel la base d’Abidjan jouera un rôle majeur, et la situation au Nigeria et en Centrafrique.

Le conciliateur

Lors de leurs tête-à-tête, à l’heure du déjeuner mais aussi au cours du dîner d’État quelques heures plus tard, les deux présidents devraient également aborder la question hautement sensible de la "réconciliation nationale". "Nous voulons pousser au dialogue. Nous estimons que rien ne s’oppose à une normalisation", indique une source diplomatique française. Pour faire bonne figure, Hollande doit rencontrer dans l’après-midi (après avoir reçu un "accueil populaire" au centre-ville) quatre ONG œuvrant à la promotion des droits de l’Homme et à la préservation de l’environnement.

Plus important : une entrevue est programmée peu avant la tombée de la nuit avec les partis d’opposition, dont le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, jadis proche du Parti socialiste français. "Nous les encouragerons à participer au dialogue", précise-t-on à l’Elysée.

 

Mais qui dit réconciliation dit aussi justice. Les enquêtes sur les disparitions, durant la dernière décennie, des Français Guy-André Kieffer, Yves Lambelin et Frantz di Rippel, ou encore la situation de Michel Gbagbo, le fils de l’ancien président interdit de sortie du territoire et qui possède la double nationalité (française et ivoirienne) : tout cela devrait être discuté. À Paris, on estime en effet que certaines affaires n’avancent pas assez vite. Mais plutôt que de le dire en ces termes, on préfère jouer la carte de la coopération. Pour "accélérer" certaines procédures, la France signera une convention avec la Côte d’Ivoire portant sur 25 millions d’euros, et visant à la formation (de juges, d’avocats) et à la construction de bâtiments de justice. "La justice manque de moyens", explique-t-on dans l’entourage du président, sans aller jusqu’à dire qu’elle manque aussi de volonté.

Il est peu probable, par contre, que Ouattara évoque avec Hollande les ennuis judiciaires de son ami de 30 ans, Nicolas Sarkozy.

Rémi Carayol, envoyé spécia