Mis en examen le 2 juillet pour trois chefs d'accusation, dont celui de "corruption active", l'ancien chef de l'État français, Nicolas Sarkozy, souhaite malgré tout revenir dans la course à la présidentielle de 2017. Le pourra-t-il ? Son retour, annoncé à grand renfort de trompettes, paraissait réglé comme du papier à musique : Nicolas Sarkozy devait déclarer à la fin août qu'il se présentait à la présidence de l'UMP, afin d'être adoubé le 29 novembre par les militants pour en finir avec les querelles de chefs qui déchirent le parti et partir à la reconquête de l'Élysée en 2017.

Las ! Malgré "l'amitié" qu'Alain Juppé, Bruno Le Maire ou Luc Chatel, ses rivaux à droite, lui témoignent dans l'épreuve, la décision des juges Claire Thépaut et Patricia Simon de le mettre en examen - une première pour un ancien chef de l'État français - pour "corruption active", "trafic d'influence actif" et "recel de violation du secret professionnel" bouleverse cette stratégie mûrie de longue date. En France comme à l'étranger, parmi ses amis comme chez ses adversaires, on s'interroge sur sa capacité à rebondir une fois encore après cette énième épreuve judiciaire.

L'affaire est-elle grave ?

Oui, car deux juges, que leurs pairs considèrent comme sérieuses et modérées, ont estimé qu'elles disposaient de preuves suffisamment concordantes pour soupçonner l'ancien président de la République d'avoir, dans l'affaire Bettencourt, tenté d'obtenir indûment des renseignements sur l'état d'avancement de l'enquête judiciaire par l'intermédiaire de Gilbert Azibert, un haut magistrat de la Cour de cassation. En remerciement, celui-ci se serait vu promettre une intervention en sa faveur pour un poste qu'il convoitait à Monaco.

Oui, car les trois chefs d'accusation sont passibles de peines pouvant aller jusqu'à dix ans de prison et 500 000 euros d'amende. Et même, pour la "corruption active", d'une peine d'inéligibilité qui serait mortelle pour l'avenir politique de Nicolas Sarkozy.

Oui, l'affaire est gênante pour lui, car la "corruption active" est plus facile à prouver que l'"abus de faiblesse" pour lequel il avait été mis en examen dans l'affaire Bettencourt et dont il avait été disculpé en octobre 2013.

Oui enfin, car cette mise en examen s'ajoute à une kyrielle d'affaires politico-financières où il est cité : financement présumé de la campagne présidentielle d'Édouard Balladur de 1995 par des rétrocommissions dans le cadre d'un contrat de ventes d'armes au Pakistan (affaire Karachi) ; arbitrage peut-être orchestré par l'Élysée en faveur de Bernard Tapie, qui a touché 405 millions d'euros en 2008 pour solder son litige avec le Crédit lyonnais ; irrégularité possible de contrats de plusieurs millions d'euros conclus durant la présidence Sarkozy entre l'Élysée et des instituts de sondage, dont la société de son ex-conseiller Patrick Buisson ; accusations portant sur un éventuel financement par Mouammar Kadhafi de sa campagne de 2007 ; soupçon de financement illicite de sa campagne de 2012 par la société Bygmalion, organisatrice de ses meetings.

Sa contre-attaque est-elle efficace ?

Oui, car en se posant une nouvelle fois, le 2 juillet, sur TF1 et Europe 1, en victime d'un "acharnement des juges militants [de gauche]", l'ancien président convainc le cœur de son électorat.

Pour Thomas Guénolé, maître de conférences à Sciences-Po Paris et auteur de Nicolas Sarkozy : chronique d'un retour impossible ? (éd. First), la recette est infaillible : "Prenez un kilo de complaintes sur le thème "c'est un complot judiciaire", ajoutez 500 grammes d'insinuations sur le fait que "cela ne sort pas maintenant par hasard", saupoudrez d'affirmations comme quoi "le dossier est vide", assaisonnez en assurant de façon péremptoire que "Nicolas sortira plus fort que jamais de toute cette cabale". Servez réchauffé et en boucle !" Ce discours est comparable à celui de Silvio Berlusconi, l'ancien président du Conseil italien, qui a ferraillé pendant des années avec les juges avant de succomber à une affaire de fraude fiscale.

Reste un problème pour Nicolas Sarkozy : si les militants de l'UMP ne demandent qu'à être convaincus, les Français dans leur ensemble ne le suivent ni dans sa charge contre les juges, ni dans sa volonté de redevenir chef de l'État. Dans un sondage BVA Opinion pour Le Parisien, rendu public le 3 juillet, 63 % des personnes interrogées estiment qu'il est "traité comme n'importe quel justiciable" et n'est donc pas victime de "vilenies" comme il le prétend avec sa garde rapprochée.

En un an, sous l'effet des "affaires", il a perdu quinze points dans l'électorat de droite et figure désormais dans toutes les enquêtes d'opinion derrière Alain Juppé, maire de Bordeaux et ancien Premier ministre. Ainsi, 65 % des personnes interrogées ne souhaitent pas qu'il revienne au pouvoir.

Qu'est-ce qui pourrait l'empêcher de se présenter ?

Une condamnation judiciaire discréditerait encore un peu plus l'UMP face à une extrême droite en plein essor. Et les caciques du parti hésiteront à donner leur voix à un candidat sur lequel pèse un tel risque, même si son autorité et son dynamisme ne prêtent pas à discussion.

Car les juges, qu'il a traités de "petits pois sans saveur" lorsqu'il était président et dont il a dénoncé le "laxisme" supposé à l'égard des délinquants, ne lui feront pas de cadeau.

Sa charge contre la juge Claire Thépaut, tout comme les mensonges et les faux documents diffusés par ses amis contre celle-ci ont profondément irrité les syndicats de la magistrature. L'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) estime ainsi que "mettre en cause un juge et tenter de le décrédibiliser permet surtout d'éviter de parler du fond".

La résistance phénoménale de Nicolas Sarkozy aux coups du sort se nourrit de la conviction qu'il y a loin de la mise en examen à une citation à comparaître devant un tribunal correctionnel, et que celle-ci ne signifierait pas pour autant une condamnation. L'incertitude demeure totale.

Mais si aucune décision de justice ne vient entraver l'élan de l'ancien chef de l'État, rien ne l'arrêtera dans sa course à l'Élysée. "Il sera élu président de l'UMP et sera présent au second tour de la présidentielle, prédit Thomas Guénolé. S'il se retrouve alors face à Marine Le Pen, il sera élu avec 70 % à 80 % des voix, comme Jacques Chirac face à Jean-Marie Le Pen en 2002. S'il affronte un candidat de gauche, tout dépendra de l'identité de celui-ci."

 

Compte tenu du discrédit du Parti socialiste, Nicolas Sarkozy peut être fondé à penser qu'il ne fera qu'une bouchée de cet adversaire de gauche, quel qu'il soit.

Par Alain Faujas