Vers la fin d'un pèlerinage en Terre sainte qui l'a conduit du 22 au 26 mai en Jordanie, dans les Territoires palestiniens et en Israël, le pape François a pris l'initiative d'inviter Shimon Pérès, le président de l'Etat d'Israël et Mahmoud Abbas, son homologue à la tête de l'Autorité palestinienne, à une "prière commune pour la paix" au Vatican.

Cette rencontre inédite, à laquelle participera également Bartholomé Ier, patriarche de Constantinople, aura lieu dans la soirée du 8 juin, dimanche de Pentecôte, à la résidence Sainte Marthe. Selon le site de Radio Notre Dame, elle prendra la forme d'une cérémonie qui alternera des prières juive, chrétienne et musulmane entrecoupées de "méditations musicales" et se conclura par un "geste de paix" et la plantation d'un olivier symbolique. Après quoi, le Souverain pontife recevra ses hôtes pour un entretien privé.

Loin de moi l'idée traiter avec désinvolture l'initiative papale. Outre que François est une personne attachante et infiniment respectable, le chef spirituel de la première confession planétaire dispose, à défaut de hard power, d'une soft power sans égale. Ceux qui ont suivi son périple en Terre sainte ont apprécié la manière dont il a su jouer de tous les symboles que sa charge et les pays hôtes ont mis à sa disposition. En effet, sa visite a eu beau être présentée comme un pèlerinage et un geste œcuménique - la célébration, en compagnie du patriarche orthodoxe Bartholomée du cinquantième anniversaire de la rencontre historique, en 1964, entre Paul VI et Athénagoras, le patriarche de Constantinople -, elle n'en fut pas moins éminemment politique.

Il est arrivé flanqué de deux amis proches, argentins comme lui, un rabbin et un intellectuel musulman. Chez les Palestiniens, il a célébré la messe à l'église de la Nativité de Bethléem, mais il a aussi appuyé son front contre le mur de séparation, au grand déplaisir des Israéliens, et a visité un camp de réfugiés. A Jérusalem, il a prié devant le mur des Lamentations et a déposé une gerbe sur la tombe de Theodor Herzl, le fondateur du sionisme politique - le même Herzl qu'un de ses prédécesseurs, Pie X, avait brutalement éconduit en janvier 1904 ("Nous ne pouvons soutenir ce mouvement. Nous ne pouvons pas empêcher les juifs de venir à Jérusalem mais nous ne l'accepterons jamais. Les juifs n'ont pas reconnu Notre Seigneur, c'est pourquoi nous ne pouvons pas reconnaître le peuple juif.") Geste éminemment politique, comme la visite au mémorial aux victimes israéliennes du terrorisme, avant de se rendre au Mémorial de la Shoah Yad Vashem, où il a baisé la main d'une demi-douzaine de survivants. Mais il a aussi célébré une messe au Cénacle, lieu de la Cène selon la tradition chrétienne, mais situé au-dessus de ce que les juifs considèrent être le tombeau du roi David. Un sans-faute.

Il n'empêche, pour les protagonistes du drame proche-oriental, son invitation à l'invocation du Ciel n'est pas exempte d'une sorte d'ironie amère. Quoi ! Cela fait plus de vingt ans que l'on négocie, et tout ce qui nous reste comme espoir est, dans les propres mots du pape, une "rencontre de prière, sans discussion", au terme de laquelle "chacun rentrerait chez soi"? Pathétique.

En fait, la véritable signification de cette aimable garden party spirituelle est d'ordre des relations publiques. Pour Abbas, c'est l'occasion, au moment où il refait péniblement l'unité du mouvement national palestinien au prix d'un gouvernement commun avec les islamistes du Hamas, de montrer à la face du monde qu'il reste à la manœuvre, tout en réaffirmant l'orientation fondamentale de sa diplomatie.

Pour Pérès, c'est la conclusion en beauté, dans un feu d'artifice planétaire comme il les aime, de son mandat présidentiel. Une cérémonie chez le pape, sous les caméras du monde entier, dans son rôle éternel de "combattant pour la paix", que rêver de mieux ? Et, en passant, un coup de pied de l'âne bien senti à Benjamin Netanyahou, dont il a été le naïf porte-parole, avant de comprendre sur le tard que le premier ministre ne croyait pas un mot des promesses dont il l'abreuvait. Car le triomphe communicationnel de l'un est nécessairement le cauchemar de l'autre. On se console comme on peut.

Une caricature parue dans le journal Haaretz résume la situation. Le pape, les bras tendus, accueille Abbas et Pérès au bout d'un tapis rouge, sur lequel les deux compères s'avancent enlacés. Au loin, un Netannyahou furieux contemple la scène sur son écran de télévision et marmonne : "Je vais zapper à l'open de Roland-Garros !"

Elie Barnavi

Ancien ambassadeur d'Israël en France