Dans moins d'un mois, l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, emprisonné à La Haye depuis novembre 2011, saura si les charges retenues contre lui sont confirmées. Pendant ce temps, au pays, son clan s'organise.

Alors que la Cour pénale internationale (CPI) doit se prononcer, mi-juin, sur la confirmation ou non des charges contre l'ex-président ivoirien, ses partisans veulent croire à sa libération prochaine et font flèche de tout bois. Sur les réseaux sociaux, le succès de #BringBackOurGirls ("ramenez nos filles"), le slogan de soutien aux lycéennes du Nigeria, a inspiré une version parodique, #BringBackOurGbagbo ("ramenez notre Gbagbo"). En une semaine, elle a été reprise plus de 3 000 fois sur Twitter, selon le site d'analyse de données topsy.com. Pour les pro-Gbagbo, tous les moyens sont bons, jusqu'aux détournements de mots-clics.

Curiosité ou sympathie ? Une certitude : Gbagbo fait vendre. En Côte d'Ivoire, la "presse bleue", favorable à l'ancien chef d'état, fait de bons chiffres, surtout lorsqu'il apparaît à la une. Dans les meetings où il intervient, à Abidjan, Michel Gbagbo attire les foules. "En allant écouter le fils, j'ai l'impression de retrouver le père", souffle une militante. Sa mère, Jacqueline Chamois - la première épouse -, vient de créer, à Paris, l'Association des amis de Laurent Gbagbo, présidée par le professeur Raphaël Dagbo. Objectif : réhabiliter le fondateur du Front populaire ivoirien (FPI) en rappelant, à travers conférences et débats, son combat pour le multipartisme et la souveraineté de l'Afrique.

Autre signe d'une mobilisation des troupes, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire - le fief de Laurent Gbagbo -, l'appel au boycott lancé par le FPI contre le recensement général semble assez suivi. Le gouvernement n'a pas manqué de mettre en garde les auteurs de ce mot d'ordre contre d'éventuelles poursuites judiciaires. Le 8 mai, Pascal Affi N'Guessan, le président du FPI, et trois autres dirigeants du parti ont été longuement auditionnés par la gendarmerie ivoirienne. Le même jour, Anne Désirée Ouloto, ministre de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l'Enfant, se rendait à Gagnoa pour appeler les femmes de l'Ouest à "s'impliquer davantage". "Dans l'Ouest, le FPI n'hésite pas à aller dans les villages en disant : si vous refusez le recensement, les Blancs vont entendre vos cris et libérer Laurent Gbagbo. C'est de la manipulation !" vitupère un cadre du Rassemblement des Républicains (RDR), le parti du président Ouattara. Derrière, les autorités repassent dans les mêmes villages et expliquent : "Le boycott vous fait du tort, car il nous empêche de savoir à combien de personnes nous devons apporter l'eau et l'électricité."

Promesses non réalisées et non réalisables

Trois ans après son arrestation, Laurent Gbagbo commence-t-il à récupérer les déçus d'Alassane Ouattara ? Laurent Akoun, le secrétaire général du FPI, y croit. Lui qui dénonce "les vendeurs d'illusions [du RDR] qui prétendent que la Côte d'Ivoire va bien alors que les fondamentaux s'écroulent les uns après les autres" veut rallier "le peuple qui ne supporte plus les promesses non réalisées et non réalisables". Amadou Soumahoro, le secrétaire général par intérim du RDR, réplique : "Regardez le chemin parcouru depuis 2011. Avec un taux de croissance annuel supérieur à 8 %, la population fait vite la différence avec les dix années Gbagbo. D'ailleurs, le FPI a perdu beaucoup d'influence auprès des syndicats et des étudiants."

L'ex-président donne-t-il des consignes ?

En réalité, la question clé est de savoir si l'ancien chef de l'état garde la main sur son parti. Pour son porte-parole, Justin Koné Katinan, réfugié au Ghana, et pour son conseiller spécial français, Bernard Houdin, à Paris, cela ne fait aucun doute. "Au FPI, il peut y avoir une ou deux personnes avec un agenda caché, mais l'immense majorité soutient Laurent Gbagbo, glisse le second. Chacun sait que, s'il s'écarte de ce chemin, il devient une feuille morte." à la direction du parti, le prisonnier de la CPI conserve aussi beaucoup de fidèles, à commencer par les deux "historiques", Laurent Akoun et Aboudramane Sangaré, le premier vice-président, qu'il a connus en prison en 1971.

Comme son téléphone est sur écoute, nous n'avons pas de contact direct avec lui, confie un dirigeant du FPI.

L'ex-président donne-t-il des consignes ? "Comme son téléphone est sur écoute, nous n'avons pas de contact direct avec lui, confie un dirigeant du FPI. Il nous fait parvenir des messages par ceux qui vont lui rendre visite, mais il ne donne aucune directive." Outre sa seconde épouse, Nady Bamba - la mère de son dernier fils, Koudou Ismaël -, Laurent Gbagbo reçoit beaucoup. Des membres de sa famille et des fidèles, comme Guy Labertit, l'ex-"Monsieur Afrique" du Parti socialiste français. Sans parler de ses avocats, Emmanuel Altit et Natacha Fauveau Ivanovic, du barreau de Paris, et Agathe Baroan, du barreau d'Abidjan. L'idée du boycott du recensement ivoirien viendrait-elle de La Haye ? "Non, répond le haut responsable. Nous n'avons pas besoin de le solliciter pour définir notre stratégie. De toute façon, c'est nous qui sommes sur le terrain. Comme nous ne pouvons pas connaître sa position en temps réel, nous serions tétanisés si nous devions attendre ses instructions."

Au-delà des "confidences" à la presse, ce que les proches de Gbagbo oublient de dire, c'est que, depuis le congrès constitutif du FPI dans une bananeraie de Dabou, en 1988, ils sont coutumiers de l'action clandestine. En octobre 2000, contre Robert Gueï qui s'accrochait au pouvoir, puis en mars-avril 2011, contre Alassane Ouattara, l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci) et la France, ils ont fait preuve d'un vrai savoir-faire dans la mise en place de réseaux parallèles et de structures clandestines, comme des studios de télévision mobiles. Le reclus de La Haye parvient-il à communiquer à l'insu de ses gardes ? En tout cas, plusieurs de ses visiteurs sont étonnés par la qualité de ses informations sur la Côte d'Ivoire, y compris sur l'entourage du président Ouattara...

Que fera le FPI en 2015 ?

Désormais, tout repose sur la décision, le mois prochain, des trois juges de la CPI. Si Laurent Gbagbo est libéré, nul ne doute qu'il reviendra sur la scène ivoirienne. "Le pouvoir aura du mal à rester serein", confie un familier du palais présidentiel. "Cela scandalisera les victimes du régime Gbagbo, et une reprise de la guerre ne sera pas à exclure", estime de son côté un responsable du RDR. En revanche, s'il reste en prison, l'homme politique risque d'être abandonné par une partie de ses troupes. "Les militants devront se faire une raison et commenceront à en parler au passé. Ils seront bien obligés de se rabattre sur quelqu'un d'autre", glisse le dirigeant du FPI. Mais le noyau dur des fidèles n'est-il pas en mesure de bloquer tout changement de leader ? "C'est vrai, il peut y avoir des résistances au sein du parti, surtout de la part de ceux qui revendiquent l'ancrage du FPI dans leur région pour jouer les premiers rôles [sous-entendu : les Bétés du Centre-Ouest]. Mais quand on est dans une posture "Gbagbo ou rien", on n'avance pas."

Que fera alors le FPI lors de la présidentielle d'octobre 2015 ? "Il est difficilement concevable que le parti ne soit pas au rendez-vous, affirme le même responsable. Le scénario le plus probable, c'est la présence d'un candidat FPI. De toute façon, la décision sera prise avant la fin de l'année." Le 2 mai, comme tous les ans, les membres du parti se sont retrouvés à la Fête de la liberté. Aboudramane Sangaré a lancé aux militants : "Laurent Gbagbo attend son billet retour, mais celui-ci ne se paie pas cash. Il se paie par votre mobilisation sur le terrain." Avant que Pascal Affi N'Guessan déclare : "La lutte pour la liberté, c'est principalement la lutte pour la libération du président Laurent Gbagbo et son retour en Côte d'Ivoire." Est-ce un signe ? La fête ne se tenait pas à Abidjan ou dans l'Ouest, mais dans l'est du pays, à Bongouanou, en pays agni. Bongouanou, le fief d'Affi N'Guessan.

Par Christophe Boisbouvier