"La première fois, je ne voulais pas d'eux", explique Dalla Guilavogui, 52 ans, cultivatrice dans le village de Bokoulouma, en Guinée forestière. "Eux", ce sont les cinq membres de l'équipe de mobilisation communautaire menée par l'organisation Association d'Action Communautaire en Guinée, soutenue par UNICEF. Lors de leur première visite, ils avaient été refoulés. Aujourd'hui, la communauté les accueille. Elle s'excuse même.

Dalla semble désemparée. Son regard désorienté traduit la peur, l'inquiétude et la confusion qui ont saisi son village, situé dans la préfecture de Macenta. C'est dans cette région, au Sud-est du pays, qu'est apparue l'épidémie de fièvre hémorragique, en décembre 2013, selon les épidémiologistes. Il y a encore quelques semaines, Macenta était l'épicentre de la maladie.

Réticences, hostilité et parfois violence

"Dans le village voisin, lorsqu'une personne était malade, poursuit Dalla, une voiture venait la chercher. On ne la revoyait plus. Des gens venaient pulvériser l'intérieur de sa maison avec un produit. C'était inquiétant. Certains disaient que ce produit amenait la maladie. Pulvériser, c'est la mort, disait-on".

Ces graves malentendus, combinés au manque d'information et à la peur de la maladie ont conduit le village à se replier sur lui-même. Il aura fallu l'intervention de "ressortissants" -des habitants de la capitale et du Chef-lieu de la Préfecture originaires du village-, celle de guérisseurs traditionnels et de chefs religieux, tous soutenus par l'UNICEF, pour inverser la tendance, sans oublier quelques pressions de la préfecture.

Il faut parfois cinq visites successives avant de pouvoir gagner la confiance des villageois. Parfois, des menaces de mort sont proférées, des barrages érigés, des cailloux lancés, l'hostilité prend le dessus. La peur causée par Ebola exacerbe les fortes tensions communautaires de la région. En septembre dernier, à Womey, une équipe de sensibilisation accompagnée de journalistes locaux a été assassinée. Depuis, les agents de l'UNICEF et les sensibilisateurs redoublent de prudence et certains reconnaissent travailler la peur au ventre.

Les comités de veille sentinelles de la communauté contre Ebola

La réponse à Ebola n'est pas exclusivement médicale. De nombreuses communautés refusent de laisser partir leurs malades vers de grands centres de traitement souvent éloignés, à propos desquels circulent d'inquiétantes rumeurs. Pour l'UNICEF, l'adhésion communautaire à la lutte est essentielle. A Bokouloma, un comité communautaire de veille est actuellement mis en place, élu par la population. Ses membres, originaires du village, sensibiliseront leurs voisins et se chargeront de la surveillance de l'épidémie au niveau communautaire. Le comité devrait permettre de lancer les alertes, d'éviter les incompréhensions entre population et équipes médicales. "Avec ces Comités, si tout se passe bien, nous aurons des oreilles et des yeux dans chaque village", explique le docteur Fadiga Abdoul, chargé de la santé au bureau local de l'UNICEF. "Nous serons bien mieux accompagnés pour contrôler l'épidémie".

En Guinée forestière, 660 comités de ce type, initiés par UNICEF et d'autres partenaires (PNUD, FNUAP et Plan Guinée), sont en cours d'installation. Plus d'une centaine sont déjà opérationnels. Dans tout le pays, 2 700 Comités devraient être installés d'ici la fin de l'année. Leur installation est le fruit de formations en cascades, du niveau préfectoral jusqu'au village.

L'impact d'Ebola, visible et invisible

Education provisoirement stoppée, vaccinations perturbées. Moins visible, et tout aussi grave, est la fracture sociale qui affecte la région forestière. Si le village de Bokoulouma n'a pour l'instant enregistré aucun cas d'Ebola, la maladie a affecté son tissu social. "Socialement, explique Dalla, nous sommes malades. Certains de nos jeunes ne respectent plus leurs anciens. Economiquement, nous sommes malades. Les villages ne se fréquentent plus. Certaines communautés villageoises sont interdites d`accès au marché hebdomadaire".

En Guinée comme ailleurs, la lutte contre Ebola est une course contre la montre. L'investissement au sein des communautés est essentiel, à court et a long terme. L'enjeu est de s'assurer qu'à l'issue du combat, grâce à la mobilisation communautaire, le pays n'en sorte pas dévasté, mais au contraire renforcé, tant dans son système de santé que dans la cohésion sociale.

Christophe Boulierac