Pour justifier sa stratégie face à Kiev, le président russe a multiplié lundi 1er septembre les références à la seconde guerre mondiale et à la « Nouvelle Russie ». Des déclarations largement reprises par la propagande du Kremlin pour alimenter la vague nationaliste dans le pays. Ils sont armés jusqu’aux dents et leurs sourires sont aussi menaçants que leurs mitraillettes.

Ces derniers jours, la télévision publique russe ne cesse de montrer ces hommes en treillis célébrant leurs dernières victoires dans les régions séparatistes du sud-est de l’Ukraine. Les commentaires ne précisent plus qui ils sont ni d’où ils viennent. Mais leur message finit régulièrement par une même référence à la Seconde Guerre mondiale. « Jusqu’à Kiev », écrit l’un de ces soldats non-identifiés sur son tank – allusion au légendaire « jusqu’à Berlin » des victorieux blindés soviétiques en route vers l’Allemagne en 1945. Un autre soldat évoque l’héroïque lutte de son grand-père contre les nazis.

En pleine escalade dans le sud-est de l’Ukraine, la propagande du Kremlin intensifie de plus en plus ces références à la « grande guerre patriotique » – ainsi est baptisée en Russie la Seconde Guerre mondiale.

Donetsk, la nouvelle Leningrad ?

Pour justifier sa stratégie face à Kiev, le chef du Kremlin Vladimir Poutine vient lui-même de faire le parallèle. Il a comparé presque ouvertement Donetsk, la ville phare des séparatistes pro Russes ciblée par l’armée ukrainienne depuis des semaines, à Leningrad, venue à bout du long siège nazi en 1941. « De petits villages et de grandes villes sont encerclés par l’armée ukrainienne. Cela me rappelle tristement les événements de la Seconde Guerre mondiale, quand les fascistes allemands encerclaient nos villes », a commenté Vladimir Poutine. Et de louer les séparatistes et de saluer leurs « succès considérables », victoires dans lesquelles des soldats de forces régulières russes sont largement soupçonnés d’avoir joué un rôle à peine déguisé.

La « grande guerre patriotique »

Depuis des années, lançant de patriotiques appels à l’unité nationale, Vladimir Poutine fait régulièrement allusion à la « grande guerre patriotique ». Un vrai point de référence pour l’identité nationale, aujourd’hui facilement ravivé : la propagande présente les nouveaux dirigeants de Kiev en putschistes fascistes et les forces pro Russes en soldats « de maintien de la paix ». Devenue omniprésente dans la propagande du Kremlin, cette référence a nourri une ferveur nationaliste croissante.

Autre référence présidentielle, désormais récurrente : parti défendre l’identité russe contre les Occidentaux, Vladimir Poutine vient à nouveau de se référer à la « Nouvelle Russie ». Un terme désignant les territoires du nord de la mer Noire après leur conquête par les tsars au XVIIIe  siècle, interprété en menace : comme avec la Crimée, le Kremlin voudrait voir ces terres revenir sous contrôle de Moscou, en tout cas échapper à l’influence de Kiev… De quoi faire peur au nouveau pouvoir ukrainien et plonger la population russe dans une nostalgique vague de patriotisme.

Un scénario similaire à la guerre en Géorgie

Depuis le jeudi 28 août, Vladimir Poutine multiplie en fait ces déclarations menaçantes plus ou moins sibyllines. Hasard ou non, cela intervient au moment de la victorieuse contre-offensive séparatiste. Le chef du Kremlin a lancé dimanche, pour la première fois, l’idée de la création d’un État pour les régions rebelles. « Nous devons commencer immédiatement des discussions substantielles sur des questions touchant à l’organisation politique de la société et à un statut étatique pour le sud-est de l’Ukraine afin de protéger les intérêts légitimes des personnes qui y vivent », a déclaré le président.

Le Kremlin a, depuis, cherché à tempérer cette déclaration mais elle plane bel et bien désormais comme une menace sur l’avenir de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Cette éventualité rappelle le scénario de la guerre en Géorgie en 2008, conclue par l’émergence en « États » de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, deux régions géorgiennes. Des États indépendants pour la forme mais vassaux de Moscou dans les faits.

Sud-est de l’Ukraine : même sort que la Transnistrie ?

Autre option possiblement envisagée par le Kremlin : laisser empirer suffisamment la situation dans le sud-est de l’Ukraine pour créer, de facto, une enclave pro russe hors du contrôle de Kiev, à l’image de la Transnistrie, cette région séparatiste russophone de la Moldavie.

Parallèlement, Vladimir Poutine a beau jeu de se montrer conciliant et, dans les mots, de militer, comme dimanche 31 août, pour un cessez-le-feu. Il sait que le temps joue désormais en sa faveur. Après avoir serré la main à Minsk mardi dernier au président Petro Porochenko, discuté avec lui pendant deux heures et soutenu une « feuille de route », il a envoyé le 31 août dans la capitale biélorusse son délégué au « groupe de contact » sur la crise ukrainienne.

Des représentants de Kiev et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) participent aux discussions. « Nous sommes convaincus qu’aujourd’hui, le conflit ukrainien ne peut être résolu à travers une poursuite de l’escalade militaire », a insisté Vladimir Poutine.

Mais Moscou a posé une condition à cette conciliation : des négociations directes entre Kiev et les séparatistes L’intensification de la contre-offensive des rebelles favorise cette séquence diplomatique voulue par le Kremlin : les récents revers infligés à l’armée de Kiev pourraient finir par contraindre le président ukrainien à accepter les conditions des pro Russes et de… Moscou.

BENJAMIN QUÉNELLE (à Moscou)