Les organisations de la société civile sont devenues des acteurs majeurs dans la lutte contre la corruption.

Sous le soleil ardent d’un lundi, un groupe de manifestants défile dans les rues de Kampala, la capitale ougandaise. Tous sont vêtus de noir, couleur de deuil dans plusieurs pays africains. Il s’agit, expliquent-ils, de marquer la tragédie que représente la corruption pour les finances publiques. « endez-nous notre argent et démissionnez », peut-on lire notamment sur certaines des pancartes qu’ils brandissent. Depuis novembre 2012, chaque premier lundi du mois, le Black Monday Movement, une coalition d’ONG locales et de groupes de la société civile, descend dans les rues pour dénoncer les effets de la corruption en Ouganda.

Par un piquant hasard, un mois avant le lancement du mouvement, un scandale financier secoue le pays. Les médias se font l’écho d’un rapport accablant du contrôleur général ougandais, accusant des fonctionnaires, y compris certains responsables au sein du bureau du Premier ministre, du détournement de quelque 15 millions de dollars. L’argent était destiné à des projets de développement dans le nord du pays, dévasté par une longue guerre civile. Lors d’une conférence de presse, le Premier ministre, Amama Mbabazi, reconnait qu’ « un vol massif » a eu lieu.

La réaction des bailleurs de fond est immédiate : l’Irlande, la Grande-Bretagne, la Norvège et le Danemark suspendent leur aide financière. Les autorités ougandaises ouvrent une enquête et imposent des sanctions administratives à des fonctionnaires. « Notre gouvernement est déterminé à combattre la corruption », déclare le Premier ministre Mbabazi. Et d’ajouter : « Ce à quoi nous assistons à présent c’est le début d’un nettoyage qui va se poursuivre. Nous allons tout passer au peigne fin ».

Pour les activistes du Black Monday Movement cependant, cet épisode n’est jamais qu’un parmi d’autres. Selon eux, des dizaines d’incidents similaires ont déjà occasionné la perte de millions de dollars en deniers publics. Rarement, protestent-ils, ces faits ont suscité une réaction de la part des autorités.>

Depuis des mois, en dépit d’une popularité limitée, le mouvement semble s’être installé dans la sphère publique ougandaise. Grâce à des tactiques astucieuses, il a réussi à se donner une visibilité médiatique et à stimuler des débats houleux. À bien des égards, il s’inscrit dans la suite d’autres acteurs des sociétés civiles africaines qui font campagne contre la corruption sur le continent. Au fil des dernières années, ce phénomène s’est amplifié, entrainant l’émergence de nouveaux modes de mobilisation.

Approches diverses

Depuis la fin des années 1990, la mobilisation de la société civile contre la corruption en Afrique du Sud s’inscrit dans le cadre d’initiatives plus larges. En 1999, le gouvernement organise le premier sommet anti-corruption. Deux ans plus tard, il lance le forum national Anti-corruption, qui rassemble notamment la société civile et les entreprises privées. Le forum adopte une stratégie de lutte contre la corruption dans la fonction publique. D’autres sommets anti-corruption ont lieu en 2005 et 2008, et les acteurs de la société civile y sont associés. En 2006 un rapport du Mécanisme africain d’examen par les pairs (MAEP), constate que « le développement de partenariats clés entre le gouvernement, la société civile et le secteur privé dans la lutte contre la corruption » constitue l’un des aspects important des efforts sud-africains.

Cependant, en dehors de ce cadre formel, dans un pays ou les scandales de corruption se multiplient, des groupes indépendants lancent d’agressives campagnes. En effet, sur l’indice de perception de la corruption de Transparency International, l’Afrique du Sud a perdu 26 places en cinq ans, passant de la 43ème place sur 179 pays en 2007, à la 69ème sur 174 pays en 2012. En Janvier 2012, des responsables locaux, des syndicalistes et des fonctionnaires lancent donc Corruption Watch, une organisation de la société civile qui « compte sur le public pour rapporter des actes de corruption, et ... utilise l’information contenue dans ces rapports pour lutter contre la corruption et exiger des comptes des dirigeants.» Au cours de ses 11 premiers mois d’existence, l’organisation affirme avoir reçu 1 227 rapports. Pour la plupart les dénonciateurs se sont servis de Facebook et de messages texte, illustrant ainsi le caractère moderne du projet.

En République du Congo, même si les accusations de corruption ont souvent entouré l’exploitation pétrolière, il faut attendre la fin des années 1990 pour assister à une véritable mobilisation. C’est d’abord grâce à une campagne menée par des évêques catholiques, puis à partir de 2003 par un groupe d’ONG membres de la coalition nationale Publiez ce que vous payez, un réseau mondial d’organisations de la société civile. Depuis lors, leurs dénonciations ont conduit à des efforts de transparence considérables de la part des autorités notamment.

La mobilisation de la société civile contre la corruption en Afrique a aussi été au cœur des récentes vagues de protestation sur le continent. La version Tunisienne du printemps arabe, qui a conduit au renversement de l’ancien président Ben Ali en 2011, a commencé par une réaction contre la corruption endémique de l’élite dirigeante, révélée par des télégrammes diplomatiques américains divulgués par Wikileaks.

Au Sénégal, des militants anticorruption ont contribué à la chute de l’ancien président Abdoulaye Wade en 2012. Depuis lors, son fils Karim Wade, considéré comme son héritier politique et des membres autrefois puissants de son régime ont été accusés de corruption devant la justice de leur pays. Des artistes populaires, à l’instar du rappeur Ndongo D. du groupe Daara J, des journalistes et des militants ont rejoint la campagne anti-corruption. Leur mouvement, Y’en a marre, a rassemblé les manifestants dans les rues de Dakar au cours des derniers mois de la présidence de M. Wade.

De telles mobilisations ont bénéficié de la vague de démocratisation des années 1990 en Afrique. Jusqu’à cette date, les systèmes de parti unique et les régimes autocratiques, dominant sur le continent, laissaient peu de place à la contestation. Pourtant, souligne Marianne Camerer, politologue et militante sud-africaine, « La corruption prospère dans les sociétés où les fonctionnaires bénéficient de pouvoirs discrétionnaire et où la transparence est limitée. Dans ces sociétés, les institutions de la société civile sont souvent faibles et peu développées ».

Acteurs étrangers

L’ouverture politique en Afrique a aussi permis aux ONG étrangères de contribuer à la lutte. Leur soutien a apporté une visibilité mondiale aux militants nationaux, des ressources indispensables et un soutien crucial.

La mobilisation de la société civile congolaise contre la corruption dans le secteur pétrolier a par exemple bénéficié de l’appui de la coalition mondiale Publiez ce que vous payez. Celle-ci a notamment soutenu, avec d’autres, le procès très médiatisé des biens mal acquis devant la justice française à l’encontre de trois présidents africains, dont celui du Congo.  

Transparency International (TI), basé à Berlin et fondé en 1993 par Peter Eigen, ancien fonctionnaire de la Banque Mondiale en Afrique de l’est notamment et neuf autre partenaires est tout aussi actif. Transparency est devenu l’un des chef de file parmi les activistes anti-corruption dans le monde. Son indice de perception de la corruption est redouté dans de nombreux milieux. Nombre de pays africains en sont devenus les moutons noirs. Pour soutenir ses 94 bureaux nationaux, dont 14 en Afrique, TI leur fournit conseils et formations pratiques.

Global Integrity, une organisation basée à Washington, a acquis une certaine notoriété ces dernières années. Fondée par le journaliste d’investigation Charles Lewis, le chercheur Nathaniel Heller et la militante sud-africaine Marianne Camerer, il apporte un nouvel outil au combat : la diffusion d’information en temps réel via une plateforme en ligne baptisée Indaba fieldwork. Global Integrity s’appuie sur un réseau mondial de collaborateurs, dont plusieurs en Afrique. Il y a peu, le groupe a annoncé le lancement son propre indice, en collaboration avec la Fondation Mo Ibrahim, active dans le domaine de la bonne gouvernance en Afrique. Cet indice devrait permettre d’évaluer les stratégies et efforts de lutte contre la corruption en Afrique.

Défis persistants

En dépit de leur courage, de leur héroïsme parfois, du soutien d’activistes étrangers, les organisations de la société civile qui luttent contre la corruption en Afrique font face à des défis importants. Pour beaucoup, le harcèlement et les menaces de mort sont monnaie courante. Dans leur bulletin mensuel, les militants du Black Monday Movement en Ouganda tiennent une chronique de leurs relations difficiles avec la police. Au Congo, les membres de la coalition Publiez ce que vous payez ont souvent rapporté les actes de « harcèlement judiciaire » dont ils s’estiment victimes.

Dans certains cas, l’incapacité de la société civile à rester mobilisée constitue un défi encore plus insidieux. Au Nigeria Debo Adeniran, Président exécutif de la Coalition contre les dirigeants corrompus déplore les nombreuses défections d’activistes. « Nombreux sont les militants anti-corruption qui ont changé de camp pour rejoindre le mouvement de la corruption institutionnelle à différents niveaux du gouvernement. C’est dommage qu’ils voient désormais les choses différemment», déclarait-il récemment dans une interview au quotidien Punch.

Il reste qu’au fil des ans, les organisations de la société civile en Afrique sont devenus des acteurs de la lutte contre la corruption sur le continent. Il y a deux décennies à peine, ils étaient quasiment absents. Mais en Afrique comme ailleurs, une lutte efficace nécessite également l’engagement d’autres acteurs étatiques. Marianne Camerer, note à juste titre que « ’implication de la société civile est nécessaire, mais insuffisante.

Afrique Renouveau